Le jeu des Je: présence et désignation de l’autre dans Les Bouches inutiles de Simone de Beauvoir

Indépendemment de tout jugement soulignant le didactisme et le moralisme des Bouches inutiles, notre étude se propose de mettre en valeur l’importance de cette pièce théâtrale peu connue qui témoigne du passage de l’individualisme à la solidarité en tant que thème charnière des oeuvres de Simone de Beauvoir. Se rangeant dans le sillon des réécritures des thèmes anciens en vogue dans les années ’40 – Sartre et Camus aussi étaient en train d’en témoigner avec leurs pièces à sujet mythique - Les Bouches inutiles deviennent le point de départ situationnel d’une succession de duels oratoires combinant des contradictions à plusieurs niveaux – affectives, sociales, idéologiques, philosophiques – et se déroulant dans un cadre emblématique qui nécessite des choix et des engagements de la part des personnages. Ces derniers seront tourmentés tout au long de la pièce par l’idée de vivre une existence portant le poids de la complicité des crimes de la tyrannie. L’étude des Bouches inutiles fait en outre émerger trois typologies de subjectivités, chacune dans son dynamisme phénoménologique de sujet-objet, observant-observé, voire dans leur stricte dépendance d’un regard autre omniprésent. Cela relève de la profondeur d’une réflexion sur le présent suscitée sans doute par les premières expériences politiques de Simone de Beauvoir, découvrant les horreurs de la guerre et des camps de concentration.