La majorité des études qui se focalisent sur l’employabilité sont consacrées aux facteurs individuels, aux circonstances personnelles, ou aux éléments de contexte qui sont considérés comme nécessaires pour l’être. En dépit de leur variété, ces études prennent pour acquis que l’employabilité est un problème de correspondance entre ce qu’un individu sait faire et ce que le marché lui demande. Le chemin que je prends dans ce chapitre est différent : qualifier les individus d’employables est avant tout une opération de classement qui, comme toute taxinomie, est associée à la stabilisation d’un ordre social qui reflète et contribue à produire un langage commun permettant de coordonner les actes des individus. En tant que classement, l’employabilité est sans doute une construction cognitive et idéologique, mais elle est aussi – et peut-être avant tout – une construction bureaucratique qui partage les deux caractéristiques dont Béatrice Hibou a souligné qu’elles étaient constitutives de l’inflation de normes, règles, procédures et formalités typique de l’ordre néolibéral : l’importance de la coproduction de ces normes par un ensemble d’acteurs et d’institutions qu’il est de moins en moins pertinent de qualifier de « public » ou de « privé », et l’exacerbation du processus d’abstraction à la base de la production de ces normes. Dans les pages qui suivent, j’explore les différentes manières par lesquelles l’employabilité est codifiée, et les processus concrets qui mènent à l’accréditation de l’employabilité individuelle. J’identifie trois logiques : parfois les institutions forment pour le marché, créant ainsi une analogie entre un individu qualifié d’employable et un travailleur effectif ; parfois, elles forment selon les exigences du marché, les initiatives d’amélioration de l’employabilité étant censées classer les individus en catégories professionnelles en fonction de ces « exigences », ou prétendues telles ; d’autres fois, enfin, elles forment dans le marché, selon le credo concurrentiel, censé intégrer les individus par leur apprentissage des jeux du « marché ». À partir du cas marocain, je me propose de reconstruire les significations fragmentées et parfois contradictoires que prend l’employabilité et de comprendre comment les modalités d’insertion des individus se transforment en fonction de certaines figures du processus bureaucratique propre à l’ordre néolibéral.

Comment devenir employable ? Certifier l’exclusion, l’indifférence et la stigmatisation sur le marché du travail au Maroc

BONO, IRENE
2013-01-01

Abstract

La majorité des études qui se focalisent sur l’employabilité sont consacrées aux facteurs individuels, aux circonstances personnelles, ou aux éléments de contexte qui sont considérés comme nécessaires pour l’être. En dépit de leur variété, ces études prennent pour acquis que l’employabilité est un problème de correspondance entre ce qu’un individu sait faire et ce que le marché lui demande. Le chemin que je prends dans ce chapitre est différent : qualifier les individus d’employables est avant tout une opération de classement qui, comme toute taxinomie, est associée à la stabilisation d’un ordre social qui reflète et contribue à produire un langage commun permettant de coordonner les actes des individus. En tant que classement, l’employabilité est sans doute une construction cognitive et idéologique, mais elle est aussi – et peut-être avant tout – une construction bureaucratique qui partage les deux caractéristiques dont Béatrice Hibou a souligné qu’elles étaient constitutives de l’inflation de normes, règles, procédures et formalités typique de l’ordre néolibéral : l’importance de la coproduction de ces normes par un ensemble d’acteurs et d’institutions qu’il est de moins en moins pertinent de qualifier de « public » ou de « privé », et l’exacerbation du processus d’abstraction à la base de la production de ces normes. Dans les pages qui suivent, j’explore les différentes manières par lesquelles l’employabilité est codifiée, et les processus concrets qui mènent à l’accréditation de l’employabilité individuelle. J’identifie trois logiques : parfois les institutions forment pour le marché, créant ainsi une analogie entre un individu qualifié d’employable et un travailleur effectif ; parfois, elles forment selon les exigences du marché, les initiatives d’amélioration de l’employabilité étant censées classer les individus en catégories professionnelles en fonction de ces « exigences », ou prétendues telles ; d’autres fois, enfin, elles forment dans le marché, selon le credo concurrentiel, censé intégrer les individus par leur apprentissage des jeux du « marché ». À partir du cas marocain, je me propose de reconstruire les significations fragmentées et parfois contradictoires que prend l’employabilité et de comprendre comment les modalités d’insertion des individus se transforment en fonction de certaines figures du processus bureaucratique propre à l’ordre néolibéral.
2013
La bureaucratisation néolibérale
La Découverte
49
75
9782707176493
http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_bureaucratisation_neoliberale-9782707176493.html
Marocco; neoliberalismo; occupabilità; giovani; burocratizzazione
I. Bono
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