Sui generis : la sémiotique face à l’unicité du sens

« Sui generis » est une locution latine utilisée dans la plupart des langues occidentales afin de désigner un objet, un procès, un phénomène que l’on ne peut classer dans aucun genre. Sorte de monstres socio-culturels, les signes, les textes, les discours sui generis relèvent d’un statut paradoxal : toute en nécessitant d’une référence aux genres établis de sorte à pouvoir définir leur propre identité par négation, ils édifient néanmoins, par leur propre existence, un genre à eux, unique, absolu, dont on ne pourrait ni trouver des précédents ni élaborer des imitations. La notion de « sui generis », voire de « monstruosité textuelle », demande une investigation théorétique et analytique urgente. Non seulement est-il nécessaire de se demander quelles sont les caractéristiques sémiotiques des genres qui ne sont pas tels (les hapax legomena de la culture) de façon à en saisir structurellement l’unicité (mais ce qui est unique et incomparable est-il vraiment intelligible ?), mais également de façon à caractériser, par le biais de la sémiotique, ce moment mystérieux (du point de vue à la fois génétique et génératif) qui est la naissance d’un nouveau genre (c’est-à-dire d’un genre avant qu’il ne le devienne, ou d’un genre potentiel). L’hypothèse vers laquelle s’oriente l'article est quelque peu désolante pour la sémiotique et les autres disciplines structurales du sens : obligée d’interpréter le sens comme occurrence de (ou à la limite comme déviation de) un genre, la sémiotique n’a pas les moyens de saisir l’unicité du sens (dans la synchronie), voire son originalité (dans la diachronie). Est-elle donc condamnée à négliger, voire banaliser, tous les phénomènes les plus fondamentaux d’une « existence sémiotique » : l’amour, la poésie, la mort, et d’autres monstruosités du sens ?