Pourquoi ne peut-on pas vivre dans un espace où chaque communauté religieuse décide d’utiliser librement les ressources matérielles de l’environnement afin de signifier son identité et son appartenance religieuse, sans pour autant entrer en conflit avec les projets de signification des autres communautés spirituelles, à l’inclusion des projets de ceux qui n’adhèrent à aucune croyance ? Il serait sans doute merveilleux de vivre dans un espace aussi paisible ; cependant, cela demeure une utopie car, en premier lieu, comme on vient de le souligner, les ressources matérielles de la signification sont souvent limitées : soit l’on arrête de travailler le dimanche, soit le samedi, soit le vendredi, soit le jeudi ; respecter les jours fériés des toutes les religions à la fois peut créer de problèmes majeurs dans l’organisation du travail. Cependant, même si l’on arrivait — par une gestion de plus en plus rusée de la coexistence religieuse — à éliminer toute tension évidente autour des projets de signification spirituelle, sa nature conflictuelle ne disparaîtrait pas. Ce que les chercheurs et les chercheuses en sciences religieuses ont souvent négligé est le fait que, pour un croyant, la pluralité des signes religieux constitue souvent une menace à la fois cognitive et émotionnelle. Le phénomène est macroscopique dans les religions monothéistes : constater que le même dieu peut être vénéré d’une façon différente affaiblit sous-consciemment la vigueur identitaire de la croyance spirituelle. Pour le fondamentaliste, par exemple, il n’est pas suffisant de maîtriser toutes les ressources nécessaires à son propre projet de signification religieuse ; il faut également faire en sorte que des autres projets ne se manifestent point, car cette manifestation implicitement évoque l’impermanence et la relativité de sa propre croyance. La pluralité religieuse exprime un contenu de relativité que seule la conception post-moderne de l’existence a pu sous-estimer. Au contraire, accepter que, dans l’anthropologie humaine, la présence symbolique de l’autre menace de façon intrinsèque tout projet identitaire, notamment dans le domaine religieux, ne signifie pas renoncer à toute aspiration de coexistence paisible entre les diversités. En revanche, développer une conception réaliste, voire parfois pessimiste de la raison anthropologique et sociale peut emmener à un optimisme raisonnable de la volonté de politique religieuse.
Hors du salut, point de texte
LEONE Massimo
2019-01-01
Abstract
Pourquoi ne peut-on pas vivre dans un espace où chaque communauté religieuse décide d’utiliser librement les ressources matérielles de l’environnement afin de signifier son identité et son appartenance religieuse, sans pour autant entrer en conflit avec les projets de signification des autres communautés spirituelles, à l’inclusion des projets de ceux qui n’adhèrent à aucune croyance ? Il serait sans doute merveilleux de vivre dans un espace aussi paisible ; cependant, cela demeure une utopie car, en premier lieu, comme on vient de le souligner, les ressources matérielles de la signification sont souvent limitées : soit l’on arrête de travailler le dimanche, soit le samedi, soit le vendredi, soit le jeudi ; respecter les jours fériés des toutes les religions à la fois peut créer de problèmes majeurs dans l’organisation du travail. Cependant, même si l’on arrivait — par une gestion de plus en plus rusée de la coexistence religieuse — à éliminer toute tension évidente autour des projets de signification spirituelle, sa nature conflictuelle ne disparaîtrait pas. Ce que les chercheurs et les chercheuses en sciences religieuses ont souvent négligé est le fait que, pour un croyant, la pluralité des signes religieux constitue souvent une menace à la fois cognitive et émotionnelle. Le phénomène est macroscopique dans les religions monothéistes : constater que le même dieu peut être vénéré d’une façon différente affaiblit sous-consciemment la vigueur identitaire de la croyance spirituelle. Pour le fondamentaliste, par exemple, il n’est pas suffisant de maîtriser toutes les ressources nécessaires à son propre projet de signification religieuse ; il faut également faire en sorte que des autres projets ne se manifestent point, car cette manifestation implicitement évoque l’impermanence et la relativité de sa propre croyance. La pluralité religieuse exprime un contenu de relativité que seule la conception post-moderne de l’existence a pu sous-estimer. Au contraire, accepter que, dans l’anthropologie humaine, la présence symbolique de l’autre menace de façon intrinsèque tout projet identitaire, notamment dans le domaine religieux, ne signifie pas renoncer à toute aspiration de coexistence paisible entre les diversités. En revanche, développer une conception réaliste, voire parfois pessimiste de la raison anthropologique et sociale peut emmener à un optimisme raisonnable de la volonté de politique religieuse.File | Dimensione | Formato | |
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