L’analyse se concentre sur les entretiens médiatiques d’orateurs expérimentés (en l’occurrence, des personnalités politiques) et vise à montrer le jeu complexe qui se met en place entre le plan verbal et le plan coverbal au moment où un euphémisme surgit dans l’énoncé, en focalisant tout particulièrement les cas de convergence et de divergence entre les niveaux segmental, prosodique et gestuel. En effet, la production d’euphémismes correspond à de multiples enjeux communicatifs : l’occultation ou l’atténuation de référents déplaisants, la construction d’un ethos de retenue et de modération, l’adéquation à une norme sociodiscursive résultant d’instances diastratiques, diaphasiques et diamésiques imposées par la situation où se déroule l’échange. Tous ces enjeux affectent le projet discursif dans son ensemble et dépassent le surgissement ponctuel – a priori imprévisible – du segment euphémique proprement dit, ce qui détermine chez le locuteur un effort cognitif accru, qui n’est pas sans produire des disfluences dans la parole (Druetta 2009), plus abondantes dans l’environnement immédiat de l’euphémisme, mais pouvant aller même au-delà. Du point de vue des phénomènes observés, s’il n’y a pas de différence par rapport aux modes de production caractéristiques de l’oral en général (cf. Blanche-Benveniste 1990, 1997), on observe cependant l’augmentation remarquable de certains d’entre eux au moment où l’euphémisme apparaît, ainsi que leur configuration ordonnée, caractéristique des procédés de réparation. C’est ainsi que la saillance énonciative de l’euphémisme, qui concerne essentiellement le plan lexico-sémantique, se double d’indices segmentaux (amorces, redites, séquences autonymiques), suprasegmentaux et gestuels, pouvant constituer autant de saillances, dans l’interaction, qui orientent l’interprétation figurale de manière convergente ou divergente par rapport au plan verbal. Or, face à cet excès d’indices, les orateurs expérimentés font souvent preuve d’une compétence active leur permettant de mettre en œuvre des stratégies à visée perlocutoire basées sur l’emploi et le dosage de ces indices. Nous décrivons quelques-unes de ces stratégies récurrentes dans le corpus analysé, que nous rattachons à deux valeurs de base : le « lissage » énonciatif de l’euphémisme, visant à le faire passer inaperçu (notamment lors de l’évocation de réalités pouvant entraîner des conséquences négatives pour l’énonciateur) vs la « mise en scène » de l’euphémisme, pour que celui-ci soit perçu et apprécié dans sa dimension figurale (ce qui permet soit de renforcer l’ethos de l’orateur, soit d’accomplir des énonciations ironiques). Nous montrerons également que ces valeurs de base dépendent de la combinaison entre le statut lexicalisé ou non lexicalisé des euphémismes produits et du caractère convergent ou divergent des indices verbaux et coverbaux, dont certains échappent au contrôle conscient du locuteur et permettent de déceler l’activité euphémique même par delà les stratégies délibérément mises en place.

Gestion des plans verbal et coverbal lors de l’émergence des euphémismes à l’oral : analyse de quelques stratégies

DRUETTA, Ruggero
2012-01-01

Abstract

L’analyse se concentre sur les entretiens médiatiques d’orateurs expérimentés (en l’occurrence, des personnalités politiques) et vise à montrer le jeu complexe qui se met en place entre le plan verbal et le plan coverbal au moment où un euphémisme surgit dans l’énoncé, en focalisant tout particulièrement les cas de convergence et de divergence entre les niveaux segmental, prosodique et gestuel. En effet, la production d’euphémismes correspond à de multiples enjeux communicatifs : l’occultation ou l’atténuation de référents déplaisants, la construction d’un ethos de retenue et de modération, l’adéquation à une norme sociodiscursive résultant d’instances diastratiques, diaphasiques et diamésiques imposées par la situation où se déroule l’échange. Tous ces enjeux affectent le projet discursif dans son ensemble et dépassent le surgissement ponctuel – a priori imprévisible – du segment euphémique proprement dit, ce qui détermine chez le locuteur un effort cognitif accru, qui n’est pas sans produire des disfluences dans la parole (Druetta 2009), plus abondantes dans l’environnement immédiat de l’euphémisme, mais pouvant aller même au-delà. Du point de vue des phénomènes observés, s’il n’y a pas de différence par rapport aux modes de production caractéristiques de l’oral en général (cf. Blanche-Benveniste 1990, 1997), on observe cependant l’augmentation remarquable de certains d’entre eux au moment où l’euphémisme apparaît, ainsi que leur configuration ordonnée, caractéristique des procédés de réparation. C’est ainsi que la saillance énonciative de l’euphémisme, qui concerne essentiellement le plan lexico-sémantique, se double d’indices segmentaux (amorces, redites, séquences autonymiques), suprasegmentaux et gestuels, pouvant constituer autant de saillances, dans l’interaction, qui orientent l’interprétation figurale de manière convergente ou divergente par rapport au plan verbal. Or, face à cet excès d’indices, les orateurs expérimentés font souvent preuve d’une compétence active leur permettant de mettre en œuvre des stratégies à visée perlocutoire basées sur l’emploi et le dosage de ces indices. Nous décrivons quelques-unes de ces stratégies récurrentes dans le corpus analysé, que nous rattachons à deux valeurs de base : le « lissage » énonciatif de l’euphémisme, visant à le faire passer inaperçu (notamment lors de l’évocation de réalités pouvant entraîner des conséquences négatives pour l’énonciateur) vs la « mise en scène » de l’euphémisme, pour que celui-ci soit perçu et apprécié dans sa dimension figurale (ce qui permet soit de renforcer l’ethos de l’orateur, soit d’accomplir des énonciations ironiques). Nous montrerons également que ces valeurs de base dépendent de la combinaison entre le statut lexicalisé ou non lexicalisé des euphémismes produits et du caractère convergent ou divergent des indices verbaux et coverbaux, dont certains échappent au contrôle conscient du locuteur et permettent de déceler l’activité euphémique même par delà les stratégies délibérément mises en place.
2012
Etudes pragmatico-discursives sur l'euphémisme - Estudios pragmático-discursivos sobre el eufemismo
Peter Lang
Studien zur romanischen Sprachwissenschaft und interkulturellen Kommunikation
83
153
171
9783631614167
http://www.peterlang.de
Linguistica; retorica; pragmatica; prosodia; eufemismo; attenuazione; mitigazione
Ruggero Druetta
File in questo prodotto:
File Dimensione Formato  
druetta2012 euph.pdf

Accesso riservato

Tipo di file: PDF EDITORIALE
Dimensione 2.22 MB
Formato Adobe PDF
2.22 MB Adobe PDF   Visualizza/Apri   Richiedi una copia

I documenti in IRIS sono protetti da copyright e tutti i diritti sono riservati, salvo diversa indicazione.

Utilizza questo identificativo per citare o creare un link a questo documento: https://hdl.handle.net/2318/90037
Citazioni
  • ???jsp.display-item.citation.pmc??? ND
  • Scopus ND
  • ???jsp.display-item.citation.isi??? ND
social impact